Sionisme : le miracle continue

En l’honneur du 120e anniversaire du mouvement de libération nationale du peuple juif, l’Organisation sioniste mondiale (OSM) en France a convié les amis d’Israël à une grande conférence intitulée « Le sionisme, hier, aujourd’hui et demain », le dimanche 14 janvier, à Paris. Un temps de réflexion, entre bilan et perspectives.  

 

Près de 300 personnes, parmi lesquelles des représentants des grandes institutions communautaires, se sont pressées dans la salle des mariages de la mairie du 16arrondissement de Paris, afin de participer à cette manifestation phare du début de l’année 2018, minutieusement préparée par l’équipe parisienne de l’OSM. Avant d’entrer dans le vif du sujet, Moshé Cohen, délégué de l’OSM en France, a promis à l’assistance une après-midi dense, où toutes les facettes du sionisme passé et actuel seraient évoquées, mais aussi son avenir, après ses 120 premières années d’accomplissements. Pour sa part, Robert Zbili, président de la Fédération des organisations sionistes de France (FOSF), a rappelé les autres événements que le peuple juif se félicite de commémorer cette année : après le cinquantenaire de la réunification de Jérusalem en 2017, nous célébrerons, le 20 avril prochain (5 Iyar 5778) le 70e anniversaire du rétablissement de l’État d’Israël. Preuve que « le sionisme est une idée moderne et une réussite ! »

 

Au commencement…

 

La table ronde inaugurale réunissait Michel Gurfinkiel, journaliste et géopolitologue, Ariane Bendavid, maître de conférences en littérature hébraïque à l’université de Paris-Sorbonne, et Michaël Bar-Zvi, professeur de philosophie.

 

Chargé d’évoquer « les fondements spirituels du sionisme », Michel Gurfinkiel a tout d’abord souligné son « paradoxe religieux ». De fait, si ce mouvement politique s’est distingué par sa volonté de rompre avec le monde orthodoxe et que nombre de ses leaders ont revendiqué leur laïcité, voire leur désaveu de la foi mosaïque, le judaïsme normatif demeure intrinsèquement sioniste. Afin d’appuyer sa démonstration, l’orateur a convoqué le commandement divin (mitzva) d’habiter et même de conquérir la terre d’Israël, la prégnance du retour à Sion dans la liturgie quotidienne ou encore l’ère messianique, synonyme de restauration de la royauté davidique souveraine. L’orateur s’est ensuite attardé sur les deux postures à l’œuvre au sein du judaïsme orthodoxe : l’« attitude quiétiste » fondée sur la doctrine des trois serments (Ketoubot, 111 a), disqualifiant l’alya de masse, et l’« attitude activiste », qui a nourri l’enthousiasme des foules lors de l’épisode Sabbataï Zvi et alimenté les écrits des protosionistes religieux (Alkalaï, Kalisher…). Longtemps minoritaire, le sionisme religieux, dont le rav Kook constitue l’une des figures de proue, se révèle aujourd’hui « d’une grande vitalité dans la société israélienne » jusque dans les rangs haredim, a noté l’écrivain.

 

Non sans rendre hommage aux précurseurs du sionisme, tel Leo Pinsker, l’auteur d’Autoémancipation (1882), Ariane Bendavid s’est intéressée à la renaissance de l’hébreu et de la culture hébraïque. Après avoir survécu, deux millénaires durant, dans les yechivot, la langue de Moïse a connu un renouveau extraordinaire en une génération. « C’est un phénomène unique dans l’histoire linguistique », a insisté l’intervenante. Toutefois, avant que Ben Yehuda et ses soutiens ne remportent la « guerre des langues » en terre d’Israël, l’hébreu avait déjà fait l’objet de tentatives de réhabilitation littéraire, des maskilim allemands aux écrivains de l’Est européen (Avraham Mapou, Moshé

Lilienblum, Ahad Haam…). La pratique moderne de l’hébreu s’est développée indépendamment du mouvement sioniste, même si elle est indissociable de la fierté nationale juive, débarrassée des oripeaux de la mentalité exilique, a révélé l’universitaire, qui n’a pas manqué de citer les « princes de la littérature hébraïque », de Bialik à Agnon.

 

En clôture de cette première partie, Michaël Bar-Zvi a expliqué pourquoi le sionisme, à l’inverse des idéologies du XXe siècle, n’avait pas échoué dans un bain de sang. « La particularité du mouvement sioniste est, justement, qu’il n’est pas une idéologie, a-t-il déclaré. Herzl a eu l’intelligence de l’ouvrir à toutes les tendances du judaïsme. […] La force du sionisme est d’avoir une histoire à raconter, d’avoir su transformer un mouvement politique en aventure humaine. » Un pluralisme qui se dessine dans l’éventail des courants sionistes, du travaillisme de Ben Gourion au pragmatisme national de Jabotinsky, dont le commun objectif consiste à permettre aux Juifs du monde entier de vivre leur identité « comme bon leur semble ».

 

… et maintenant


Après un intermède gourmand, les participants ont été salués par Marc Attali, ministre plénipotentiaire près l’ambassade d’Israël, et Meyer Habib, député de la 8e circonscription des Français de l’étranger.

 

Michaël Bar-Zvi a alors présenté la seconde table ronde, composée d’Olivier Véron, responsable de la maison d’édition Les Provinciales, du sociologue Jacques Tarnero et d’Uzi Arad, grande personnalité de la sécurité et du renseignement d’Israël.

 

Éditeur engagé en faveur d’Israël et du rapprochement judéo-chrétien, Olivier Véron a consacré son discours au « malentendu entre Juifs et chrétiens » dissipé par le sionisme. Une incompréhension qui puise sa source dans la Révolution française et les principes de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le « don ambigu de l’émancipation aux Juifs » s’assortit en effet d’une « indifférenciation démocratique » lourde de conséquence pour un peuple sommé de renoncer à son être national. Fruit des déconvenues de l’assimilation, le sionisme permit, en quelque sorte, de contrer le destin dépourvu d’aspérité que réservait Clermont-Tonnerre à ses « concitoyens » israélites. Oliver Véron a du reste déploré l’« arme de guerre » anti-israélienne qu’est devenu le droit-de-l’hommisme destructeur, résolument hostile au concept de nation, surtout lorsqu’elle est juive. Quant à l’alliance judéo-chrétienne qu’il appelle de ses vœux, il n’y aurait qu’un pas entre l’ « Annonciation » et « l’annonce à Sion », toutes deux porteuses d’un espoir de libération du peuple juif.

 

Spécialiste des avatars de l’antisémitisme, Jacques Tarnero a dressé, de son côté, le constat sans appel d’un monde « qui n’a toujours pas compris l’importance symbolique d’Israël », comme en ont encore attesté les récentes bavures antisionistes qui ont défrayé la chronique juive (boycott sportif et politique, productions éducatives orientées, réactions fanatiques aux déclarations du président Trump sur Jérusalem…). Le statut de l’État d’Israël n’a cessé de se dégrader au sein des instances internationales depuis son triomphe contre quatre armées arabes coalisées en 1967, jusqu’à la nazification la plus indécente des anciennes victimes de la Shoah. En France, le passif de la guerre d’Algérie a également joué en défaveur de ces prétendus « colons », tout désignés pour soulager les anciens bourreaux de leur culpabilité. Malgré le « conformisme » et la « paresse intellectuelle » des medias en la matière, « l’opinion publique commence à comprendre que ceux qui menacent Israël menacent aussi l’Europe ». Le chercheur s’est par ailleurs réjoui du travail de remise en cause effectué par certains intellectuels courageux issus de la société arabo-musulmane, appelant cette dernière à une « autodérision » salutaire. « Le prodige qui se nomme Israël devrait inspirer l’Europe », a-t-il conclu.

 

Invité d’honneur de l’événement, Uzi Arad s’est enfin adressé à l’assemblée dans un excellent français. Fort de son exceptionnelle expérience au plus haut niveau de l’État, il a exprimé « son point de vue d’Israélien » sur le sionisme et son devenir. Au fil d’un rappel historique sur l’ère pré-étatique et la guerre d’Indépendance, il a loué « l’esprit de sacrifice pionnier » et ces « simples soldats » auxquels l’on doit les succès militaires du pays, bien davantage qu’aux généraux. Face aux dangers existentiels qu’Israël doit aujourd’hui affronter, l’ancien conseiller du gouvernement à la sécurité a regretté la prolifération des prédictions apocalyptiques « dystopiques », auxquelles il préfère la recherche de consensus et le pragmatisme. « Israël n’est pas le fruit d’un miracle, mais d’un immense effort, a-t-il souligné. De grands défis nous attendent, mais nous allons les relever ! »


C’est sur cette note optimiste que s’est achevé le second volet de la conférence, marqué par la visite de Claude Goasguen, député et ancien maire du 16e arrondissement. « Dans un Moyen Orient en pleine décomposition, la légitimité appartient à Israël, a réaffirmé l’élu. Cette terre est due au peuple juif, et c’est aussi notre intérêt à nous, Français, de défendre son droit. Soyez fiers d’être juifs et sionistes ! »


En conclusion, Avraham Duvdevani, président mondial de l’OSM venu tout spécialement d’Israël, a fait valoir que l’un de deux objectifs du premier congrès sioniste n’était pas encore entièrement réalisé, celui de rassembler les Juifs du monde entier en Israël. « Depuis la création de l’État, le peuple juif a pris la responsabilité de son avenir, a-t-il lancé dans un vibrant plaidoyer en faveur de l’alya. Chaque Juif doit savoir que, s’il a une adresse ailleurs, sa maison est en Israël ! » Un vœu qui entre en résonance avec l’aspiration profonde de toute une nation.