La guerre des Six Jours expliquée

La guerre de six jours
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Du 5 au 14 juin, le professeur de philosophie et écrivain Michael Bar-Zvi a donné une série de conférences (Paris, Versailles, Vaucresson, Nantes, Metz, Lyon, Bruxelles et Liège) sur le thème « Israël, 50 ans après la guerre des Six Jours », à l’occasion du Yom Yeroushalaïm.

 

À l’issue de ses passionnantes prestations, de nombreux participants ont exprimé le souhait d’approfondir le sujet. Le texte accessible ci-dessous, transmis par le conférencier, leur en donnera l’opportunité !

 

Le septième jour

Nous vivons, depuis presque un demi-siècle, le septième jour de la guerre des Six Jours,comme le temps d’une vie d’adulte avec ses joies et ses peines, ses déceptions et ses espoirs. Fin et commencement à la fois d’une période de l’histoire, la guerre des Six Jours a marqué les esprits d’une trace indélébile, en dessinant les contours des engagements politiques qui subsistent encore aujourd’hui.

Guerre ultime aussi, d’une certaine manière, car jamais un conflit armé si bref n’avait autant été chargé de sens. Comme le pressent P. Boutang, cette guerre n’est pas seulement un affrontement militaire, mais un paradoxe, dans lequel le politique rejoint le spirituel, à travers une révolution des consciences qui questionne l’Europe autant que le Proche-Orient. Les dimensions symboliques, affectives, religieuses et culturelles de cette guerre ont une force qui dépasse l’événement lui-même et nous renvoient à nos angoisses, nos fantasmes et nos valeurs.

Aventure mystérieuse également dont les causes matérielles, formelles, efficientes et finales ne sont pas connues totalement à ce jour et que peutêtre certains récents événements dans le monde arabe nous dévoilent petit à petit. Enfin, une guerre dont les conséquences définitives nous échappent encore, comme s’il s’agissait d’un destin ou d’un projet dépassant le récit des hommes, écrit pour l’histoire et qui réserve un sort funeste aux héros qui veulent en changer le sens. Immense et parfaite tragédie grecque récitée par des choeurs juifs et musulmans, telle est aussi la contradiction de ce qui se joue depuis 1967 sur la scène du Proche-Orient et dont personne ne possède toutes les clés, mais où tout le monde assiste à l’avènement expiatoire de la théâtrocratie.

La guerre des Six Jours est un tournant historique, non seulement par la force de son résultat, mais avant tout par ce qui lui précède. Une vingtaine d’années après sa création, Israël a déjà remporté deux victoires militaires, au cours de la guerre d’Indépendance et lors de l’opération de Suez, mais dans ces deux cas, l’État hébreu n’était pas seul, il bénéficiait d’un soutien direct des grandes puissances. En 1948, le peuple juif réalise son rêve d’un retour et du rétablissement d’une souveraineté sur la terre de ses ancêtres, mais à un prix très lourd, des pertes énormes en vies humaines (environ 1% de la population) et le tracé de frontières indéfendables en cas d’attaque globale des pays arabes.

En 1956, l’opération Kadech, comme on l’appelle, s’achève par un coup d’épée dans l’eau. Israël n’obtient aucun bénéfice direct, ni stratégique, ni politique et encore moins économique. Bien au contraire, cette guerre renforce les États arabes de la région dans leur nouvelle idéologie : le panarabisme. Hussein, chérif de la Mecque, à l’origine de cette forme de nationalisme, trouve avec Nasser en Égypte et avec le parti Baas,fondé en Syrie par le chrétien Michel Aflaq et le musulman Salah al-Din al-Bitar, un écho à cette vision permettant d’englober musulmans, chrétiens et laïques dans un même mouvement politique. Deux piliers sont à la base du panarabisme : la volonté de retrouver la grandeur arabe et la haine d’Israël.

De 1956 à 1967, les dirigeants arabes ont mis sur pied la stratégie censée leur permettre de réaliser les objectifs du panarabisme, dont la première étape est la destruction de l’État d’Israël. La création de l’OLP autour des descendants et disciples de Hadj Amin El Husseini, ancien mufti de Jérusalem, en 1964, est un des jalons de cette entreprise de construction d’une identité nationale palestinienne dans le giron du panarabisme. L’échec cuisant des armées arabes pendant la guerre des Six Jours est, à juste titre, considéré comme le début de la fin du panarabisme.

La récupération de la « cause palestinienne » par le panarabisme est remise en cause par la défaite de juin 1967 et aboutira, en décembre 1967, au départ du fondateur de l’OLP, Ahmed Choukeiry, et à son remplacement par Yasser Arafat, qui met en place une autre stratégie de combat contre l’État d’Israël. Il ne s’agit pas là seulement d’une substitution de personnes, mais d’un changement radical de politique. Alors que le mouvement palestinien sous la direction de Choukeiry souhaitait s’associer à une guerre totale contre Israël, aux côtés et dans les rangs des armées arabes, il va petit à petit s’orienter vers une nouvelle forme de terrorisme, que nous connaissons encore aujourd’hui.

Le constat de l’échec des armées arabes à vaincre Israël sur le champ de bataille va donner naissance à un terrorisme planétaire, dont le but avoué est l’exportation du conflit hors de la région du Proche-Orient. Le terrorisme palestinien réussira, au cours de la décennie qui suivit la guerre des Six Jours, à marquer psychologiquement les esprits, amenant souvent les pays occidentaux à des compromis et renoncements peu glorieux. Armés d’une triple identité, tantôt palestinienne, tantôt arabe et tantôt musulmane, les dirigeants de l’OLP ont, pendant les deux décennies qui suivirent la guerre des Six Jours, mobilisé tour à tour les forces progressistes, nationalistes ou islamistes à son activisme terroriste contre Israël et les communautés juives à travers le monde. Cette universalisation du terrorisme a servi et sert encore de modèle aux nébuleuses qui menacent l’équilibre de la planète.

Depuis, la question que se posent aussi bien les observateurs que les béotiens est la suivante : la victoire militaire écrasante de 1967 est-elle une victoire à la Pyrrhus ? Un succès sur le champ de bataille qui se transforme en défaite politique. À court terme, le résultat a constitué une surprise pour Israël, dont l’objectif immédiat était la levée de la menace de destruction qui pesait sur lui depuis le retrait des casques bleus du Sinaï en mai et le blocus maritime du canal de Suez. Le choc des armées arabes humiliées a,
semble-t-il, empêché l’amorce d’une négociation avec l’Égypte et la Syrie.

Prises de court, les grandes puissances et l’ONU n’étaient pas en mesure de trouver une formule pouvant mener à un accord. Les tractations autour de la fameuse résolution 242, et ses différentes versions anglaise et française, montrent bien la confusion créée par un revers aussi cuisant et aussi imprévisible des forces arabes. À moyen terme, le capital de sympathie dont bénéficiait l’État d’Israël s’est retourné au profit de ceux qui n’ont cessé de se poser en victimes, opérant ainsi un transfert compassionnel que l’Occident, fautif pendant la Seconde Guerre mondiale, espérait depuis la Shoah. En quête de réponse simple à une question compliquée, la classe politique et les castes intellectuelles occidentales résumaient le problème du Proche-Orient à la réparation d’une iniquité. À long terme, on se rend compte que les enjeux géopolitiques sont bien plus complexes et que, comme le perçoit P. Boutang, les clés ne se trouvent pas dans l’application d’un schéma ordonné d’avance, mais dans la connaissance profonde des réalités, et notamment celles des civilisations arabes et juives. Les récents événements dans le monde arabe nous démontrent avec force qu’en deçà et au-delà de la question palestinienne, les véritables interrogations portent sur la nature de l’islam, sur ses relations avec l’Occident, dont Israël est à ses yeux le messager emblématique, sur la vision de la modernité, sur le sens de la liberté et sur la reconnaissance de l’autre dans les États arabo-musulmans.

Le conflit arabo-israélien ne peut pas se résumer à une question territoriale ni se résoudre par l’établissement d’un État palestinien, formule magique de la diplomatie bien-pensante, trop souvent ignorante des racines spirituelles et culturelles d’une région dont l’intérêt n’est pas seulement stratégique. Les aléas d’une géopolitique qui réduit les problèmes à des confrontations d’intérêt ou à des luttes pour la domination ont abouti à un malentendu profond sur le conflit arabo-israélien, en proposant deux grilles de lecture beaucoup trop schématiques ou trop simplificatrices. La première thèse considère le conflit comme un problème de souveraineté et de frontières, dont la solution est un compromis territorial, ne tenant pas compte de l’appartenance à une terre ni du lien à un patrimoine ancestral. La seconde thèse place le conflit dans la perspective d’une guerre religieuse, avec comme épicentre la ville de Jérusalem, chère aux trois monothéismes, mais dont les notions de sainteté ne sont pas explicitées.

La guerre des Six Jours a remis Jérusalem au coeur du conflit. Le retour des Juifs dans les ruelles de la Vieille Ville, la capacité retrouvée de prier devant le Mur des Lamentations, la libération du mont Scopus et le renouveau d’une cité moderne sur les lieux d’un passé glorieux sont autant de symboles qui ont redonné à Jérusalem sa dimension historique et métaphysique, mais ont également ranimé les passions et les haines. Troisième ou quatrième ville sacrée pour l’islam, Jérusalem n’a jamais été la capitale d’un quelconque État musulman, même pendant les dix-neuf années d’occupation jordano-palestinienne.

L’extension de la souveraineté juive à l’ensemble des quartiers de la ville « confiée à la garde de l’État et du soldat juifs » – selon les termes de P. Boutang – aurait-elle « resacralisé » Jérusalem aux yeux des musulmans? Le monde chrétien hésite, malgré les avancées du pape Jean-Paul II, à nouer une nouvelle alliance avec le peuple juif, qui pourtant serait l’unique assurance de conserver aux lieux saints leur statut et leur importance sans risquer une islamisation ou une compromission impardonnable.

Le mythe d’une Jérusalem berceau des trois religions ne résiste ni à l’analyse historique de leur destinée ni à l’interprétation théologique des textes canoniques. Jérusalem, ville absente du Coran, sinon de manière allusive selon les exégètes, n’a pas le même statut de sacralité dans la tradition islamique que dans la tradition juive. L’unicité de Jérusalem dans le judaïsme est évidente, mais pour autant elle n’est pas une ville sainte, dans le sens où l’entendent les chrétiens. Jérusalem est désignée en hébreu sous le nom Ir hakodech, la ville du sacré, c’est-à-dire la ville où le peuple hébreu a érigé un Temple pour sanctifier le Nom. La notion de « lieu saint » est étrangère au judaïsme qui sacralise le temps et non l’espace.

Le caractère sacré de Jérusalem n’est pas lié au sol, mais à l’acte de sanctification qu’a constitué la construction du Temple de Jérusalem. En revanche, le rétablissement d’une souveraineté juive sur la terre ancestrale et sur Jérusalem représente un devoir moral, que le Talmud désigne sous le terme Mitsvat yichouv haaretz (littéralement précepte de peuplement de la terre). Son application constitue une étape nécessaire de la rédemption, au même titre que le rassemblement des exilés. Maïmonide considère que le rétablissement d’une telle souveraineté représente un appel au retour en Eretz Israël auquel les Juifs de la diaspora ont l’obligation morale de répondre.

Une des conséquences pour la nation juive, et non des moindres, de la guerre des Six Jours a été ce retour du spirituel par le politique. Alors qu’un sociologue juif français, Georges Friedmann, s’interrogeait à l’époque sur l’éventualité d’une « fin du peuple juif », la nouvelle réalité instaurée par la guerre eut l’effet contraire et engendra la plus grande alya – immigration – vers Israël depuis l’indépendance.

En Israël, le miracle de la sonnerie du shofar, entendue à nouveau sur le mont du Temple, redonna un nouvel élan au sionisme réalisateur, qui avait été celui des premiers pionniers. Cette fois, ce n’était plus l’idéologie socialiste qui animait le mouvement pionnier, mais un courant inspiré des idées du rav Kook, figure de proue du sionisme religieux : le Gouch Emounim (Bloc de la foi). À côté de ce mouvement de jeunesse, dont le but était de repeupler la Judée-Samarie, une autre organisation vit le jour, le mouvement pour l’intégrité de la terre d’Israël, composée d’intellectuels issus de tous les partis, y compris la gauche israélienne.

Le prix Nobel de littérature S.Y. Agnon, le poète Nathan Alterman, l’écrivain Moshé Shamir, l’ancien chef du Mossad Isser Harel furent parmi les fondateurs de ce mouvement dont l’objectif était de redonner un sens historique, spirituel et politique à la victoire de 1967, au profit de la nation juive. Au lendemain de la guerre des Six Jours, deux conceptions radicalement opposées ont vu le jour en Israël.

La première qui ne voit dans les terres reconquises qu’une monnaie d’échange en vue d’un accord avec les États arabes voisins, et la seconde qui considère le retour à Jérusalem et en Judée-Samarie comme une part du projet sioniste et non comme un accident de l’histoire. On a coutume de désigner les partisans de la première conception par le « camp de la paix » et ceux qui adhèrent à la seconde par le nom de « camp
national ».

Pourtant, ces appellations sont trompeuses, car les premiers accords de paix ont été signés avec l’Égypte par M. Begin, Premier ministre issu du camp national, et les accords de paix signés avec la Jordanie par Y. Rabin n’ont pas fait l’objet d’échange de territoires conquis en 1967. En revanche, les évacuations de territoires, comme la bande de Gaza et une partie de la Judée-Samarie n’ont pas amené la paix, mais un regain des hostilités à partir des zones abandonnées, devenues, immédiatement après le retrait
des forces israéliennes, des bases terroristes. Cinquante ans après la guerre des Six Jours, ces deux conceptions ne semblent plus correspondre à la réalité politique israélienne.

La gauche israélienne, mouvement central dans les années pré et post étatiques, a quasiment disparu de la carte politique en tant que parti de gouvernement, et la droite israélienne apparait aujourd’hui comme « recentrée ». Quant au parti sioniste religieux, il a lui aussi perdu son influence sur le cours des événements, cédant la place aux orthodoxes non-sionistes et à un parti situé à la droite du Likoud, dont les membres proviennent en majeure partie de l’immigration massive de l’ex-Union soviétique, depuis une vingtaine d’années. Ces données socio-politiques et démographiques serviront sans aucun doute de fondement à une politique raisonnable, qui devra préserver les gages sécuritaires fournis à l’État d’Israël par la victoire de Tsahal en 1967.

La guerre des Six Jours marque aussi la fin d’une alliance entre la France et Israël, après l’embargo tout d’abord, mais surtout après l’inoubliable conférence de presse du général de Gaulle en novembre 1967, dans laquelle il rendossa les vieux habits d’un antisémitisme que l’on croyait dévolu. Une fois débarrassée du problème algérien, la France reprenait les oripeaux de sa traditionnelle politique arabe et le coup de semonce contre le peuple juif « sûr de lui-même et dominateur » ne fut que la reconnaissance
officielle et publique de ce revirement diplomatique. Désormais, la France, puis l’Europe dans son sillage, allait affirmer de manière de plus en plus claire son opposition à la diplomatie israélienne, à travers tous ses gouvernements.

Ce changement d’attitude entrepris par le général de Gaulle a fini par rendre le rôle de la France au Proche-Orient presque insignifiant. Il est temps que cette erreur soit reconnue et réparée et que des dirigeants courageux rétablissent un juste et sage équilibre, non seulement pour assurer l’avenir d’Israël mais aussi celui de l’Europe.

Michaël Bar-Zvi, postface au livre de Pierre Boutang, La Guerre des Six Jours,
éditions Les Provinciales.